Institut Freudien
de Psychanalyse de Paris

Psychanalyse et langage.


 

Le Langage. « Silence, Ca parle ».

La psychanalyse et la linguistique ont révolutionné le lien entre l’Homme et le langage. A l’inverse de Descartes pour qui la pensée préexiste au langage, c’est bien le langage qui est premier et qui détermine l’Homme.  Mais si pour la linguistique, le langage est un objet scientifique, la psychanalyse, elle, s’intéresse à la parole d’un sujet désirant, c’est-à-dire manquant. Qui est-ce qui parle ? Le Ca, le Moi, le Surmoi, l’Inconscient, le « Je » lacanien, l’Autre ?... C’est la première question qu’on peut se poser.

Pour Freud, le langage est avant tout ce qui permet d’accéder à l’inconscient. Sa double nature, à la fois physique et psychique lui permet d’être au carrefour du corps et de la psyché, de la pulsion et de sa représentation. La parole de l’analysant, à travers l’association libre ou le rêve, c’est ce qui permet à la pensée d’investir certaines traces mnésiques, représentations qui ont été refoulées dans l’inconscient, et qui se manifestent sous la forme du symptôme. Le langage, pour Freud, constitue donc une zone intermédiaire entre inconscient et conscient et permet de placer le premier sous la domination du second. Il est constitué de « termes intermédiaires préconscients » dit Freud. Enfin et surtout, pour Freud, il restera toujours une inadéquation entre le sexuel et le verbal. La sexualité ne pas se dire toute. Le désir n’est que partiellement appréhendé par le langage. Julia Kristéva parle d’un désir sexuel qui serait une asymptote au langage. Il y a toujours un manque à dire.

Pour Lacan, LA question principale, c’est « D’où ça parle ? » Le langage, avec sa structure, préexiste à l’entrée qu’y fait chaque sujet, déjà sous la forme de son nom. La langue avec laquelle nous parlons est donc la langue de l’Autre, et d’abord la langue de la mère, celle de son désir. Mais c’est bien le langage qui permet d’accéder au désir inconscient. « Le moment où le désir s’humanise est celui où l’enfant nait au langage ». Par la castration symbolique, l’enfant n’est plus identifié au désir de la mère. Il doit accepter cette castration pour sortir de la relation duelle avec la mère, devenir sujet, et entrer dans le monde du langage, de la culture. Le jour où il dit « Je », c’est un franchissement irréversible.  Après le « Je pense, donc je suis » de Descartes, on pourrait dire avec Lacan « l’Autre parle, donc Je suis… » Lacan affirme donc que le sujet n’est plus celui de la conscience, mais de l’inconscient, « structuré comme un langage ». Enfin, pour Lacan, l’inconscient est constitué de Signifiants, dont la propriété principale est qu’ils se substituent l’un à l’autre, et pas seulement dans le discours du psychotique. Le sujet, quand il parle, ne « sait pas ce qu’il dit ». Il est « barré », là encore manquant, parce que toujours à la recherche de ce signifiant premier, celui du désir dont il est le fruit. Le sujet, pour Lacan est donc « parlé », c’est-à-dire dépendant, aliéné, et en même temps constitué par l’ordre symbolique. Il est clivé, divisé.

Le double sens du mot « sujet » et son ambiguïté persistent bien encore aujourd’hui et la question de l’assujettissement du sujet parlant à quelque chose qui lui est extérieur reste entière du point de vue psychanalytique. Le danger serait en effet de croire que le sujet est « sujet de son désir », simplement assujetti à l’inconnu de son désir. Il ne serait plus alors aliéné ou clivé, mais maître de lui-même, de son désir, à la simple condition qu’il le connaisse. D’où le danger des approches thérapeutiques qui se limitent à la question : « quel est votre désir ? » Si la subjectivité repose bien sur la capacité à dire « je », elle ne peut pas se réduire à cette capacité.  

Comme on l’a vu déjà chez Freud, le symbole est toujours lié au manque, il ne peut signifier que d’être « manque ». Le désir nait de la possibilité de ce manque.  Il n’est donc de parole que dans le manque. Le refus de la castration, le manque du manque, dans le langage, c’est l’imposition de la littéralité, de l’explicite, écartant la possibilité de l’accès « au plaisir de la substitution », de la paraphrase, de la métaphore, du glissement des signifiants. Un discours saturé, complet, angoissant, empêchant le désir de se dire, provoqué par la présence incessante de la mère ou du père qui « remplit » l’enfant, le parle, le pense, et qui peut aller jusqu’à l’impossibilité de dire « Je ».

Pour soutenir le manque, il faut donc ce que Lacan appelle un Signifiant Maître, qui représente le père non castré, tout puissant, celui de la horde primitive de Freud, la figure d’autorité, le Totem. Tous les autres ne peuvent accéder au statut de sujet que s’ils acceptent d’être assujettis à ce Signifiant-Maître. L’accession au Savoir, c’est-à-dire à la parole, n’est possible au sujet que s’il accepte d’être soumis à la Loi de ce Signifiant Maître. C’est cette incomplétude qui permet à la parole d’être consistante.

Or, depuis quelques années, il semble que la parole subjective est en danger : la psychanalyse, comme les deux autres « métiers impossibles », tous liés à la parole, sont attaqués. De quoi cette dévalorisation de la parole est-elle le nom ? Sans doute d’une crise du signifiant-Maître.

Dans la culture judéo-chrétienne, c’est la parole divine, la figure de Dieu, qui a occupé cette place d’exception. « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu » Evangile de St Jean. L’organisation sociale reposait donc sur une hiérarchisation des relations dont le sommet s’incarnait dans cette « place d’exception » qui renvoyait à la fois à la transcendance divine et à l’altérité. « Ce social était organisé sur le mode religieux, c’est-à-dire reconnaissait comme allant de soi une place de transcendance et figurait une perte nécessaire -une soustraction de jouissance- via cette place d’exception, via la place de l’au-moins-un (qui n’a pas été castré), qu’occupait Dieu, mais qu’occupait aussi quiconque (roi, chef, père, maître) était en mesure d’exercer son autorité » (JP. Lebrun). Evidemment, cela ne s’est pas fait sans un prix à payer extrêmement lourd pour les victimes de l’abus de pouvoir de ces « représentants » de Dieu le père, quels qu’ils soient, rois, seigneurs, pater familias…Depuis la « mort de Dieu », cette instance divine, inaccessible, cette référence tierce a en grande partie disparu. Par quoi a-t-elle été remplacée ? A quoi le sujet parlant est-il aujourd’hui assujetti ?

Dès le XIXème siècle, c’est le discours de la Science qui va (re)prendre la place d’exception. Mais, à l’inverse du discours religieux qui fondait son autorité sur l’énonciateur, sur « qui parle » (Dieu, le Roi…), le discours scientifique efface l’énonciateur au profit de l’énoncé (dont la valeur doit être objective, c’est-à-dire détachée, indépendante de son énonciateur). C’est un discours sans soutien du sujet parlant. Le développement des neurosciences et de la psychologie cognitiviste ou comportementale, par exemple, illustre cette volonté de s’attacher uniquement à l’objectivité des comportements du patient ou de ne considérer que comme pur système de traitement de l’information, et donc d’évacuer la question du sujet, de la subjectivité, et aussi de son assujettissement.  

Plus récemment, c’est le « Marché », sa « Main invisible » et son injonction de jouissance permanente à travers la consommation, qui s’est arrogé cette place d’exception, d’autorité. Il n’y a plus aucun désir qui ne soit pas en mesure d’être satisfait. Or ce déni du manque, c’est bien un déni de la parole, la parole étant justement là pour supporter le manque. Saturer tous les manques, c’est rendre la parole inutile. Dans cette logique du « marché », tout s’équivaut sur la base d’un échange libre de toute règle. Dès lors, disparait la notion fondamentale de différence, d’altérité, en particulier différence des sexes et des générations, différentiation qui fonde l’homme, est qui est portée par le langage, pourvu que cette altérité repose sur un point fixe, une référence.  

La question de la parole est donc une question politique. L’enjeu est de prendre soin de la parole, du langage, de réhabiliter les métiers qui lui sont intimement liés, les fameux « trois métiers impossibles » : magistrats, enseignants, psychanalystes.

Notre rôle en tant que psychanalystes est de redonner au sujet ce point d’ancrage indispensable pour qu’il puisse s’engager dans la parole. C’est le principe de la cure par la parole, un des derniers lieux où la parole subjective est accueillie et écoutée avec bienveillance, où, pour revenir au silence, on ne coupe pas la parole. On n’oubliera pas surtout que tout discours, et avant tout celui de l’analysant, est destiné à un autre : « Il n’y a pas de parole sans réponse, même si elle ne rencontre que le silence, pourvu qu’elle ait un auditeur » (Lacan). Il s’agit donc pour nous de recevoir les éléments béta du patient, pour, à travers « la rêverie », le silence dont on parlait, les transformer grâce à notre fonction alpha (Bion). C’est cette part de rêverie qui a malheureusement souvent disparue aujourd’hui dans la psychiatrie ou dans les TCC qui la considèrent comme une perte de temps et d’argent. On rappellera enfin que dans l’analyse, mais finalement aussi dans toute relation qui engage véritablement deux sujets qui se parlent, il ne s’agit pas d’une relation entre deux « semblables », entre un Moi et son alter ego, ce qui serait une relation imaginaire (la passion narcissique pour Lacan consiste à « ne jamais entendre la parole de l’Autre que comme un écho à sa propre parole. C’est l’exclusion de toute possibilité de vraie rencontre avec l’Autre »), mais une relation symbolique, entre deux « Je » qui s’appréhendent par la parole. La parole intervient donc dans la cure comme terme médiateur et fonction pacifiante, comme tiers séparateur.  Dans la parole qui s’échange dans la cure, comme dans la vie, il s’agit bien de faire en sorte que « Je » puisse parler. « Who Es sprach, soll Ich sprechen… »

 


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